La psychologie de la transformation numérique

Pourquoi la psychologie décide de la transformation numérique dans les administrations suisses – et ce qu’en disent les responsables.

De Markus Häfliger · 17 décembre 2025

La Suisse se situe certes dans le segment supérieur en ce qui concerne les critères de gouvernance mesurables tels que la transparence administrative et la participation numérique. Mais en matière de numérisation, le secteur public rencontre souvent des difficultés. Certes, il existe des stratégies telles que l’« Administration numérique suisse » ou des initiatives cantonales, mais le fédéralisme, les standards informatiques hétérogènes et une forte mise en avant de la stabilité font que les projets numériques avancent lentement. Un autre obstacle réside dans la dimension humaine. Une étude de conseil menée par McKinsey (2021) a montré que près de 70 % des projets de transformation numérique échouent dans le monde principalement en raison de résistances culturelles et psychologiques. Les collaboratrices et collaborateurs s’accrochent à leurs habitudes, craignent une perte de compétences ou voient dans les outils numériques une charge supplémentaire plutôt qu’un allègement.

Manfred Jungo
Chef de la division Services numériques à l’Office fédéral des routes OFROU
«Sans automatisation et sans processus numériques, il ne sera tout simplement plus possible de fournir toutes les prestations administratives. »
Sven Ihl
Responsable des services informatiques et CIO de la ville de Saint-Gall
«Du point de vue de la clientèle, l’administration a du retard à rattraper. »
Barbara Berger
Directrice d’Informatik Schaffhausen
«Un facteur de succès décisif pour nous a été l’implication des collaboratrices et collaborateurs en tant que co-créateurs actifs. »
Urs Truttmann
Chief Digital Officer de la ville de Lucerne
«Le plus haut niveau de direction doit le vouloir et montrer un engagement clair. »
Andreas Németh
Directeur de l’organisation et de l’informatique (OIZ) de la ville de Zurich
«Le changement devient la normalité. »

Pourquoi les administrations doivent-elles agir ?

La transformation numérique n’est pas seulement une nécessité interne pour les administrations elles-mêmes. Elle est également façonnée par les attentes changeantes de la population et des entreprises. Cette pression est régulièrement citée comme moteur du changement par les responsables informatiques et les personnes en charge de la numérisation. Ainsi, Andreas Németh, directeur de l’organisation et de l’informatique (OIZ) de la ville de Zurich, déclare : « Aujourd’hui, les gens veulent des services simples, numériques et sans barrières, qu’ils puissent utiliser à tout moment. Ceux qui proposent de bonnes solutions gagnent en efficacité, en crédibilité et en attractivité en tant qu’employeur. » Il s’agit de ne pas voir la pression du changement comme une menace, mais comme une opportunité de façonner l’avenir.

Barbara Berger, directrice d’Informatik Schaffhausen (ITSH), partage le même avis : « C’est justement parce que les attentes de la population envers les services numériques augmentent continuellement qu’il est indispensable de repenser les processus et de proposer des solutions numériques coordonnées entre le canton et les communes, afin de créer des synergies et d’éviter les ruptures de médias. »

Comme une fougère qui se déploie, la transformation s’épanouit là où le changement culturel est ancré dans les attitudes et les modes de pensée.

Manfred Jungo, chef de la division Services numériques à l’Office fédéral des routes (OFROU), cite comme exemple de volonté politique le principe « Digital First » dans la Loi fédérale sur l’utilisation de moyens électroniques pour l’exécution des tâches des autorités (LMETA). « Sans automatisation et processus numériques, il ne sera tout simplement plus possible de fournir toutes les prestations administratives », explique M. Jungo. S’y ajoutent la pression croissante sur l’efficacité des coûts et le risque qu’en l’absence de structures numériques, l’administration serait incapable d’agir en cas de crise. Et pour finir : « L’attente est claire : de nombreuses prestations doivent être fournies sous forme numérique. »

Sven Ihl, responsable des services informatiques et CIO de la ville de Saint-Gall, déclare : « Du point de vue de la clientèle, l’administration a du retard à rattraper. En outre, la transformation numérique permet de réduire considérablement les délais de traitement, de diminuer les taux d’erreur grâce à l’automatisation et à la standardisation et de réaliser des gains d’efficacité. » La numérisation contribue également, du moins en partie, à remédier à la pénurie actuelle de main-d’œuvre qualifiée.

Comment réussir la transformation ?

La réussite de la transformation numérique ne dépend pas de la technique, mais de la culture et de la motivation. Andreas Németh, de l’OIZ, le confirme : « Notre facteur de succès est l’implication systématique du personnel. Nous encourageons les compétences, prenons au sérieux les préoccupations et créons ainsi de la sécurité dans le changement. Et cela renforce l’acceptation. » La transformation numérique n’est pas une tendance technologique, mais une réalité qui nécessite de nouvelles formes de collaboration et de nouveaux modèles commerciaux, affirme M. Berger d’ITSH. « Pour réussir le changement, il faut de nouvelles compétences, tant chez les personnes que dans l’organisation. Un facteur de succès décisif pour nous a été l’implication des collaboratrices et collaborateurs en tant que co-créateurs actifs. » Ainsi, des collaboratrices et collaborateurs de l’administration ont été nommés de manière ciblée pour agir en tant que multiplicateurs, recueillir un feed-back, tester des solutions et assurer la communication entre l’équipe de projet et les domaines spécialisés. Cette structure n’a pas seulement créé de la transparence, elle a aussi favorisé la confiance et l’engagement.

Selon M. Jungo, le facteur de réussite décisif pour l’OFROU a été d’aborder la transformation numérique au niveau de la direction. « Le changement se produit dans tous les domaines d’activité et doit être mené par leurs responsables, bien entendu en collaboration et sur un pied d’égalité avec les facilitateurs, c’est-à-dire les spécialistes de la transformation numérique. » Il est important de prendre conscience que ce changement n’est pas seulement un projet d’automatisation et de numérisation, mais que les collaboratrices et les collaborateurs concernés doivent participer à ces transformations et en sont également capables.

Urs Truttmann, Chief Digital Officer de la ville de Lucerne, partage le même avis : « La direction de plus haut niveau, le conseil communal de la ville de Lucerne, doit le vouloir et montrer un engagement clair.» Le message doit être que la transformation numérique concerne tout le monde et qu’il faut la concevoir activement en sa faveur et pour la population. « Au moyen d’une stratégie claire, de mesures qui en découlent et d’une communication appropriée, il faut faire participer le personnel et lui présenter les opportunités et les avantages. » Il y aura toujours des sceptiques. Tant qu’ils communiquent ouvertement leurs réticences et leurs craintes, on peut y répondre. « Le défi vient plutôt des critiques cachés, notamment au niveau de la direction. Il faut, dans la mesure du possible, les identifier et en faire des parties prenantes. » La ville de Lucerne étudie actuellement la possibilité de piloter une gestion des idées et des innovations dans le cadre de la stratégie Smart City.

Où mène le changement ?

Le changement devient viable s’il a du sens et s’il est lié à une perspective d’avenir compréhensible. Andreas Németh, de l’OIZ, considère la transformation numérique comme un processus d’apprentissage à long terme. Une planification souple de la mise en œuvre permet de rester flexible et d’adapter en permanence les priorités.

« Le changement devient la normalité. Nous développons une culture de l’apprentissage, du réseautage et de l’utilisation responsable de la technologie. » L’objectif est d’avoir une administration structurée, simple, sûre et efficace pour la population, tout en étant un lieu propice à l’innovation.

Pour Barbara Berger d’Informatik Schaffhausen, la transformation mène logiquement vers une prestation de services orientée processus et clairement centrée sur la clientèle. « Notre objectif est de faire de l’ITSH un partenaire commercial pour le canton, la ville et les communes ainsi que pour l’administration numérique de Schaffhouse. » La prochaine étape centrale est la réorganisation de l’ITSH, qui sera achevée d’ici juin 2026. En outre, dans le domaine de la numérisation, d’importantes étapes sont prévues dans le cadre de programmes d’impulsion ainsi qu’un vaste programme de formation du personnel afin de développer les compétences dans le domaine de l’IA.

On dispose d’une vision claire englobant le numérique à Saint-Gall, la formation numérique, la sécurité ICT, la durabilité, l’administration et le lieu de travail numériques ainsi que les services cloud, explique le CIO Sven Ihl, qui souligne : « Toutes ces évolutions ne seront couronnées de succès que si nous impliquons activement notre personnel, si nous développons continuellement ses compétences et si nous gardons un œil sur son influence sur la culture administrative. »

La difficulté de la transformation numérique se résume ainsi : tant qu’elle est comprise principalement comme une série de projets techniques, les résultats restent limités. Ce n’est que lorsque les idées, les personnes et les attitudes sont prises en compte qu’une stratégie peut devenir une réalité vécue.

Illustration: Patric Sandri
Markus Häfliger

A propos Markus Häfliger

Markus Häfliger est propriétaire de l'agence de relations publiques Häfliger Media Consulting, spécialisée dans l'informatique interentreprises. Il dispose de plusieurs décennies d'expérience dans les domaines de la technologie et de l'économie, tant du côté des agences que des médias. Il a été rédacteur en chef du magazine spécialisé IT Reseller et d'Infoweek (aujourd'hui Swiss IT Magazine), le magazine destiné aux décideurs informatiques dans les entreprises. En tant que nègre littéraire, il publie régulièrement dans des médias industriels et économiques renommés des articles spécialisés et des rapports sur les applications informatiques dans la pratique. Il écrit régulièrement pour le magazine Abraxas, notamment des textes pour l'ABC numérique, des articles de fond et des articles spécialisés.