Nous lisons régulièrement des gros titres du type «L’administration fédérale migre 40 000 postes de travail vers Microsoft 365» ou «Abraxas équipe 10 000 travailleuses et travailleurs du savoir du canton de Zurich avec une infrastructure numérique de postes de travail». La tendance à la numérisation du poste de travail a débuté il y a plusieurs années et s’est accélérée rapidement avec la pandémie de COVID-19, afin d’augmenter la productivité et de répondre aux nouvelles exigences du «travail hybride». Il ne s’agit pas simplement de mettre un ordinateur portable à la disposition de tout le monde et d’abolir les horaires classiques de 9 heures à 17 heures. Il s’agit plutôt d’optimiser et d’automatiser partiellement les processus de travail, afin d’exploiter judicieusement les nouvelles solutions numériques de collaboration et l’intelligence artificielle. Dans le même temps, il en résulte de nouveaux défis, par exemple en matière de sécurité des données et de bien-être des travailleuses et travailleurs du savoir. Pour que cette mise en œuvre réussisse, cet article décrit quelques pistes de réflexion basées sur la recherche et le conseil de nombreuses organisations.
L’atout d’un travail indépendant du lieu et des horaires
Le travail hybride désigne une combinaison de formes de travail déjà établies, qui offre une plus grande flexibilité et responsabilité individuelle au personnel en ce qui concerne les horaires, le lieu et la nature de son travail. Si de nombreuses organisations ont été contraintes de s’adapter à cette situation pendant la pandémie, beaucoup d’entre elles sont ensuite revenues aux modes de travail traditionnels. L’instauration efficace de modèles de travail hybrides peut toutefois être aujourd’hui un avantage concurrentiel pour attirer et fidéliser les talents sur le long terme. L’un des aspects centraux à cet égard consiste à accorder aux différentes équipes suffisamment d’autonomie dans la conception de leur mode de travail hybride. Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas fixer de règles, mais plutôt, outre quelques directives de base comme un minimum de trois jours au bureau ou la disponibilité aux heures de bureau principales (pendant lesquelles toute l’équipe est présente), laisser aux équipes la liberté de se mettre d’accord sur des rythmes de travail optimaux et de les appliquer de manière autonome. Par exemple, les équipes pourraient s’accorder pour travailler au bureau les lundis, mardis et jeudis et veiller à ce qu’il y ait suffisamment de chevauchements pour organiser des réunions de réflexion ou de prise de décisions, ce qui est généralement plus efficace en personne. De plus, les rencontres fortuites à la machine à café ou lors du repas de midi peuvent avoir des effets positifs sur la cohésion de l’équipe, la culture d’entreprise et la prise de conscience des problèmes, des opportunités et des questions en suspens.
Équilibre entre travail de concentration et travail d’équipe
Les solutions de collaboration modernes telles que Microsoft Teams et Zoom sont aujourd’hui incontournables dans le cadre du travail hybride : il n’a jamais été aussi simple d’expliquer « rapidement » un document via le partage d’écran ou de s’enquérir « vite fait » du statut d’un projet. Mais ces outils présentent aussi des risques non négligeables, à court terme pour la productivité individuelle et à moyen terme pour la santé mentale du personnel. Le problème principal est qu’on peut être interrompu et dérangé dans son propre travail à tout moment. Comme on ne souhaite généralement pas faire attendre ses collègues pour répondre à leur question, on interrompt souvent immédiatement son travail pour le faire. Les recherches actuelles montrent que ces interruptions sont fréquentes, souvent plusieurs fois par heure, et qu’il faut en moyenne 10 à 15 minutes pour pouvoir reprendre son travail là où on l’avait laissé. Ces interruptions régulières entraînent non seulement plus d’erreurs et d’oublis, mais aussi un niveau de stress plus élevé.
L’incapacité qui en résulte à se concentrer pendant une heure sur son propre travail, sans devoir changer constamment de contexte, est une cause importante de problèmes de santé mentale et de burn-out.
L’une des mesures les plus efficaces pour y remédier consiste à structurer la journée de travail en temps de concentration et en temps de collaboration. Les réunions sont par exemple planifiées l’après-midi, afin de pouvoir se concentrer pendant quelques heures (si possible) le matin, sans dérangements. Pour éviter les interruptions pendant cette période, il est recommandé de désactiver temporairement les notifications de nouveaux chats et e-mails en paramétrant son statut sur « Ne pas déranger » dans Microsoft Teams et compagnie. Là encore, il est recommandé de coordonner les mesures au sein de son équipe en clarifiant les attentes mutuelles en matière de temps de réaction et de réponse. Souvent, aucune réponse immédiate n’est attendue. De nombreuses équipes que nous conseillons et accompagnons dans notre travail chez FlowLabs attendent par exemple une réponse sous une demi-journée ouvrée et permettent un travail de concentration, en particulier pendant deux matinées par semaine sans réunion.
Gestion et protection actives des données
Une collaboration hybride efficace nécessite non seulement un bon équilibre entre travail de concentration et travail d’équipe, mais aussi la possibilité d’accéder aux données à tout moment, de n’importe où. L’époque où les documents étaient envoyés par e-mail ou emportés sur une clé USB pour pouvoir y travailler plus tard est révolue. Des solutions modernes de gestion des données, proposées par des fournisseurs tant suisses qu’américains, permettent d’enregistrer et de sauvegarder facilement des documents ainsi que de collaborer simultanément au sein d’un même document en temps réel. Toute modification apportée à un document est immédiatement synchronisée avec celles des collègues de l’équipe.
Malgré toute la commodité, le respect de la loi suisse sur la protection des données (nLPD) ainsi que, le cas échéant, d’autres normes ou réglementations en matière de sécurité des données est indispensable. Une gestion active de l’accès aux données, une classification de la confidentialité des données (voir p. ex. le projet CEBA de la Chancellerie fédérale) et une formation régulière sur l’utilisation correcte aident à mettre en œuvre ces exigences, conformément à la protection des données et avec des restrictions minimales en matière de convivialité. De plus, une stratégie de gestion des données correctement implémentée permet non seulement une collaboration plus efficace, mais contribue aussi de manière proactive à prévenir les fuites, les pertes et les indiscrétions de données.
Utiliser ChatGPT et autres de manière ciblée et prudente
Dans le travail (et la collaboration) hybride moderne, un thème est aujourd’hui omniprésent : l’intelligence artificielle, et en particulier les modèles linguistiques génératifs. Ceux-ci ont suscité un engouement incroyable au cours des 18 derniers mois et sont de plus en plus utilisés dans des scénarios quotidiens qui vont au-delà de simples tests : Microsoft Teams Copilot et Zoom AI Companion permettent par exemple de créer automatiquement des procès-verbaux de réunion et des résumés, tandis que ChatGPT ou Google Gemini permettent de réfléchir à de nouvelles idées ou de regrouper des documents PDF.
C’est extrêmement pratique et rapide. Les enthousiastes ont ainsi déjà inauguré la nouvelle ère du « travail assisté par l’IA ». Même si nous n’en sommes qu’aux balbutiements en matière d’applications de l’IA et que nous pouvons nous attendre à de grands progrès au cours des prochaines décennies, bon nombre de ces solutions sont d’ores et déjà utilisables pour le travail productif, à condition de tenir compte de deux points importants :
Premièrement, le résultat proposé par ces modèles linguistiques doit toujours être vérifié manuellement. S’ils fournissent généralement des réponses fiables et précises, ils inventent ou génèrent souvent de fausses informations, appelées « hallucinations ».
Deuxièmement, il convient de faire particulièrement preuve de prudence dans le travail avec des données sensibles, car ces modèles linguistiques sont améliorés (« entraînées ») grâce aux données saisies. C’est pourquoi il faut garantir, au moyen de formations et au niveau technique, qu’aucune donnée sensible n’est saisie ou partagée avec des modèles linguistiques publics. Là encore, il existe déjà des premières ébauches de solutions techniques, par exemple de Microsoft, AlpineAI ou Ai4Privacy, qui anonymisent automatiquement les données sensibles avant qu’elles ne soient traitées par les modèles linguistiques.
Le Conseil fédéral examine quant à lui des approches réglementaires, afin de créer des bases légales et des aides à la décision. Ces applications IA présentent un énorme potentiel si elles sont dotées de leur propre base de données, de leur propre documentation des processus et de leurs propres réglementations, afin de pouvoir traiter nos questions et mandats de manière beaucoup plus ciblée et optimisée pour l’administration ou l’entreprise concernée.