Au champ des tensions liées à la transformation numérique

Le chemin a été long et semé d’embûches. Il a fallu des années pour que l’identité électronique (e-ID) soit récemment acceptée par le peuple. En 2021, un premier concept avait échoué dans les urnes. Les débats et les préparatifs intenses sont restés sans résultat concret. En vain, les responsables du projet avaient prévenu que la Suisse risquait d’être distancée sur le plan numérique sans e-ID. Ils ont dû revoir leurs copies et ont été mis au défi de trouver, sous la pression du temps, une solution capable de rallier une majorité.

Peppino Giarritta a joué un rôle central dans cette démarche. D’une part, il préside l’association eCH, qui fait avancer la standardisation et s’est penchée sur le sujet très tôt. D’autre part, il travaille depuis 2021 en tant que chargé de mission de la Confédération et des cantons auprès de l’Administration numérique suisse (ANS). À ce titre, il coordonne les projets numériques aux trois niveaux étatiques. Le fait que la Suisse disposera d’un passeport électronique en 2026 est aussi à mettre à son actif.

« L’ANS a largement contribué au lancement de l’e-ID », explique le citoyen argovien d’adoption rétrospectivement. Après le rejet du peuple en 2021, l’organisation collaborative est devenue active et a mis sur pied un groupe de travail. À cette époque, plusieurs cantons étaient déjà en train de développer ou d’utiliser leurs propres identités numériques. Il s’agissait d’harmoniser ces activités. « Ces spécialistes ont été de précieux interlocuteurs pour la Confédération », explique Peppino Giarritta. Grâce à leur expertise, ils ont contribué à coordonner la suite du processus à l’échelle nationale. Il s’est également avéré qu’une solution transitoire était nécessaire avant l’arrivée de l’e-ID.

L’ANS et plusieurs services fédéraux ont alors lancé conjointement AGOV. Ce projet a permis de créer une connexion sécurisée pour les autorités, permettant aux collectivités publiques d’acquérir de l’expérience dès 2024. AGOV a été réalisé en peu de temps et fournit un service immédiat à la population, explique M. Giarritta. Cet exemple montre comment l’ANS donne de l’élan à la transformation numérique. « Grâce à AGOV, il sera possible d’introduire rapidement l’e-ID et de l’utiliser de manière fluide. Toutes les prestations fournies via cette infrastructure pourront être utilisées dès le premier jour avec l’e-ID. »

Dans le canton de Zurich, il a lancé le projet E-Umzug (déménagement numérique)

La cyberadministration se concentre sur les bénéfices sociaux, souligne M. Giarritta. Contrairement au secteur privé, il ne s’agit pas dans l’administration publique d’optimiser les gains. « Les services numériques de l’État doivent offrir une valeur ajoutée à la population. C’est cela qui me motive. » Le chargé de mission auprès de l’ANS a initialement étudié la physique et l’ingénierie de gestion. Il a travaillé à l’Université de Zurich, au CERN à Genève et dans le conseil stratégique. Au fil de nombreux mandats de conseil, il a constaté « à quel point le domaine de la cyberadministration est passionnant. »

En 2007, M. Giarritta a rejoint le canton de Zurich, où il a occupé différentes fonctions jusqu’en 2020, dernièrement en tant que responsable du département principal Administration numérique et cyberadministration. Grâce à lui et son équipe, Zurich a joué ponctuellement un rôle pionnier en matière de numérisation. Sous sa direction, l’E-Umzug a par exemple été lancé et mis en œuvre avec succès. « Dès le départ, nous avions en tête une solution à l’échelle nationale », raconte M. Giarritta. Cette vision globale a finalement contribué à établir l’offre dans toute la Suisse.

Il apprécie de s’entretenir avec les « gens du terrain »

De telles expériences lui sont aujourd’hui utiles. En tant qu’employé cantonal, il collaborait déjà avec des représentant·e·s de tous les niveaux de l’État, et il le fait à présent dans un cadre plus large. Pour l’ANS, les structures et les défis sont nettement plus complexes.

« Le risque qu’une certaine distance s’installe est réel. » Peppino Giarritta attache d’autant plus d’importance à échanger directement avec les différents acteurs et actrices et à s’entretenir avec des « gens du terrain » lors de l’assemblée des délégués de l’ANS. Il décrit son quotidien professionnel comme extrêmement varié et exigeant. « On se trouve dans un champ de tensions entre attentes et possibilités. »

Actuellement, le chargé de mission pour la numérisation se consacre intensivement à la poursuite du développement de l’ANS. « Nous souhaitons faire progresser la collaboration fédérale selon deux axes stratégiques », explique-t-il. D’une part, la démarche commune de la Confédération, des cantons, des villes et des communes doit être renforcée en mettant davantage de ressources à disposition pour l’architecture et le développement de normes. D’autre part, il s’agit de créer des bases juridiques afin de réglementer les normes essentielles durablement de manière contraignante. L’association eCH doit être étroitement impliquée dans ce processus. Elle rassemble des expert·e·s issus de l’administration, du secteur privé et du monde scientifique. Ils se rencontrent sur un pied d’égalité et travaillent ensemble à la standardisation. « C’est indispensable pour répondre aux évolutions actuellement nécessaires dans le domaine de la numérisation », affirme M.Giarritta, président d’eCH. Ce qu’eCH élabore doit avoir un impact plus important à l’avenir. « Les normes doivent être davantage appliquées. » La Confédération et les cantons jugent globalement positivement l’objectif de l’ANS. Après une large consultation, certains points devraient toutefois encore être précisés.

Selon M. Giarritta, l’ANS a réalisé beaucoup de choses au cours des trois dernières années. Elle s’est rapidement dotée d’une stratégie numérique pour s’orienter. Elle a mis en œuvre divers projets dont les habitant·e·s de la Suisse bénéficient désormais concrètement, par exemple dans le cadre du vote électronique (e-voting) ou du permis d’élève conducteur électronique (eLFA). En ce qui concerne l’infrastructure cloud, le délégué de l’ANS aimerait en revanche aller plus loin. « On pourrait aller plus loin dans le concret », estime-t-il. Il salue la décision du Parlement de mettre en œuvre le Swiss Government Cloud. « Il constituera un élément important de l’administration publique. »

Il fait tout ce qu’il est possible de faire sur son smartphone

M. Giarritta s’attend à un véritable coup d’accélérateur pour la numérisation grâce à l’e-ID. L’infrastructure de confiance ainsi créée offrira de nombreuses nouvelles possibilités qu’il convient d’exploiter. « La Suisse en profitera. » Sur le plan privé également, le délégué de l’ANS se réjouit de pouvoir justifier de son identité en toute sécurité dans le monde numérique et d’accéder à des services supplémentaires. Il effectue autant de démarches que possible via son smartphone. Il utilise les cartes numériques de Swisstopo, réserve ses vacances, écoute de la musique et lit les journaux en ligne. « Les applications numériques peuvent également être utiles pour montrer les possibilités d’amélioration de son propre comportement », explique M. Giarritta. Selon lui, les collectivités publiques pourraient exploiter davantage ce potentiel. Par exemple en incitant les usagères et usagers à repenser leur consommation d’électricité à l’aide d’applications.

Pendant son temps libre, l’expert du numérique apprécie d’être parfois délibérément hors ligne. Il aime le ski et les bons repas au restaurant plutôt que de commander via un service de livraison. Avec la mutation numérique, le monde analogique gagne en importance, affirme-t-il. Ainsi, il travaille rarement en télétravail. Les forums de discussion en ligne sont certes pratiques, mais les rencontres personnelles permettent un échange plus direct. Lorsqu’il voyage en Suisse, il découvre en outre d’autres régions et cultures. « Quand je me suis rendu à Fribourg pour assister à l’assemblée des délégués, j’ai pu constater une fois de plus toute la diversité de la Suisse. » Dans son lieu de résidence également, Peppino Giarritta préfère parfois le contact personnel au contact numérique. À l’occasion d’une procédure de consultation publique, il s’est récemment rendu avec plaisir à la maison communale, comme il le souligne. « J’ai toutefois apprécié de pouvoir étudier les documents au préalable de manière numérique. »