Au Palais fédéral avec un avatar

Le conseiller national PS Islam Alijaj, 37 ans, est un nouveau membre du Parlement et s’engage déjà en faveur des personnes en situation de handicap. Et il voit loin : cet adepte du numérique considère la technologie comme une opportunité pour compenser des capacités manquantes. À l’avenir, l’IA l’aidera peut-être aussi à s’exprimer clairement.

De Bruno Habegger · 21 mai 2024

Sans numérisation, il n’y a pas de société inclusive. Islam Alijaj
Islam Alijaj, 37 ans, originaire du Kosovo, est handicapé de naissance en raison d’une paralysie cérébrale, ce qui limite ses capacités physiques et d’élocution, mais pas ses capacités cognitives. À l’automne 2023, il a été élu au Conseil national à la 11e place de la liste PS. Il vit à Zurich, est marié et père de deux enfants (6 et 10 ans). (Image : Florian Brunner)

Au début de sa vie au Kosovo, il avait des problèmes similaires. Son esprit était pris dans un corps atteint d’infirmité motrice cérébrale, une lésion du cerveau provoquée chez lui par un manque d’oxygène lors de l’accouchement. Sa vie a donc commencé par terre. « Je pouvais m’asseoir et ramper. C’est tout », écrit-il dans son autobiographie. Mais son esprit s’envolait. Il avait de grands rêves, de grandes idées. Ce n’est qu’à la fin de la première année scolaire qu’il reçoit son fauteuil roulant, signe visible de la réalité. « Islam a un handicap », résume-t-il dans son livre. Mais cela ne l’a pas empêché de vivre et de faire carrière.

Du sol au Conseil national

Que réserve la vie à une personne en fauteuil roulant dont l’élocution est inintelligible, qui se heurte sans cesse aux obstacles d’une société qui sépare ce qui est sain du malade, ce qui est intelligent de ce qui est idiot, en oubliant constamment que les frontières sont floues ? Presque tout le monde a besoin d’aide à un moment de sa vie. C’est pour ça qu’il est là. C’est pour ça qu’il s’est accroché dans la vie, dans la politique, en faisant du bruit et en suscitant l’inconfort. Islam Alijaj, l’immodeste, ne veut rien de moins qu’une révolution. Une révolution du mouvement des personnes en situation de handicap, comme il l’appelle. Par sa présence au Parlement, il veut rappeler aux autres que certaines personnes ne disposent pas des mêmes droits.

Nous sommes assis au Palais fédéral, entourés de journalistes et de parlementaires qui boivent un café, discutent et donnent des interviews. Comme nous. Islam Alijaj rit. Il est charmant et plein d’esprit. Cela se ressent, même sans les mots que son assistante vocale traduit en sons plus compréhensibles.

Islam Alijaj. Conseiller national PS depuis l’automne dernier. Et un homme numérique. Son amour pour l’informatique et surtout pour l’univers d’Apple, dont il confesse être « fan », s’est développé grâce à un Mac offert par sa maîtresse de classe pendant sa première année. Depuis, Steve Jobs est son modèle. Et il trouve les fonctionnalités d’accessibilité de tous les appareils Apple « légendaires ».

Les opportunités de la technologie

« Sans numérisation, il n’y a pas de société inclusive », affirme-t-il sans hésitation. Son expérience avec un avatar et une IA qui imite sa voix avec une articulation parfaite montre la voie : « L’IA peut compenser mon handicap », dit-il. « Et me permettre d’atteindre directement les gens. » Il ne peut taper ses e-mails qu’avec un doigt, ce qui prend beaucoup trop de temps pour lui, condamnant ce grand impatient à un « enfer de l’ennui » (citation de son autobiographie) depuis l’enfance. En revanche, l’IA ouvrirait tout un champ de possibilités. Mais il faut attendre qu’elle le comprenne aussi bien que ses assistantes vocales humaines.

L’analogique l’emporte sur le numérique. Pour l’instant. S’il perçoit aussi les risques de la technologie, Islam Alijaj en voit davantage les côtés positifs. « L’IA est un outil d’égalisation et de préservation des potentiels d’opportunités pour la société et l’économie. La technologie est une échappatoire au corps lourdement handicapé. » Peut-être que son cerveau sera un jour directement connecté à Internet. Cela soulèvera toutefois à nouveau la question de savoir ce qui caractérise l’être humain et son âme.

Islam Alijaj s’intéresse bien entendu aussi aux défis profanes de la Suisse numérique. Aux barrières du quotidien analogique et à celles de l’espace numérique. La numérisation échoue « souvent à cause de la volonté de repenser le processus », explique-t-il. C’est pourquoi la Suisse est loin d’avoir atteint le but. En tant qu’homme politique numérique, son désir de réglementation s’arrête dès qu’il entrave les innovations.

Bien qu’il soit motivé par l’amélioration des conditions de vie des personnes en situation de handicap, il considère que sa mission est bien plus vaste. « La politique relative aux personnes en situation de handicap est aussi une politique numérique. Et une politique sociale. Et une politique familiale. Il s’agit d’une question transversale ». La numérisation serait un élément clé pour une Suisse meilleure à de nombreux niveaux. « Une politique progressiste en matière de handicap profiterait à tout le monde », affirme-t-il. « Tout être humain souffre d’un handicap à un moment de sa vie. » Mais il nous serait difficile de nous percevoir comme personnes handicapées.

Grandir dans un monde numérisé

Ses enfants, âgés de 10 et 6 ans, n’ont pas de handicaps physiques, tout comme leur mère. Ils grandissent dans un monde de plus en plus numérique, mais de manière contrôlée : le père doit régulièrement changer le mot de passe pour le partage familial. « Mon fils est un petit malin », dit-il en riant. Grâce à la fonction de l’identifiant Apple, il contrôle le temps numérique de ses enfants. « Ils doivent apprendre à comprendre et à découvrir le monde numérique sous tous ses aspects », dit-il, « sinon, ils seront eux-mêmes handicapés à l’avenir. » En tant que parents, il ne faudrait pas craindre les réseaux sociaux. « Sinon, c’est la peur qui te domine. » Il faudrait aussi repenser les relations et les formes de communication. « C’est notre époque.  C’est aussi cela la numérisation. »

À l’avenir, Islam Alijaj souhaite s’engager davantage dans la formation. Cette année néanmoins, il se concentre sur la révision de la loi sur l’égalité pour les personnes handicapées et, évidemment, sur l’initiative pour l’inclusion qui inscrit l’autodétermination des personnes en situation de handicap dans la Constitution. La collecte de signatures se poursuit jusqu’à l’automne. Où se voit Islam Alijaj quand il aura 50 ans ? Ses yeux scintillent, il rit, se tourne vers l’assistante vocale pour qu’elle le comprenne mieux : « Les personnes qui siègent au Conseil national jouent toujours avec l’idée de devenir Conseiller fédéral », déclare-t-il. « Mais je dois d’abord faire mes preuves. Et pour cela, j’ai besoin d’outils numériques. »

Sa force intérieure l’aidera certainement à atteindre ses objectifs. Dans ses rêves, Islam Alijaj a volé loin et ne s’est jamais senti handicapé. Et dans la dure réalité, « il a fallu que je m’accepte pour aller de l’avant. » En avant, dans la salle du Conseil fédéral.

Depuis l’élection d’Islam Alijaj, Gloria Fischer, 26 ans, est son assistante pour le quotidien politique et les affaires parlementaires. Elle soutient le conseiller national dans la communication, les discussions et les tâches administratives. Elle a légèrement repoussé la fin de ses études en relations internationales à l’Université de Saint-Gall, afin de pouvoir assister Islam Alijaj. (Image : Florian Brunner)
Bruno Habegger

A propos Bruno Habegger

Bruno Habegger est auteur du magazine Abraxas et Senior Communication Manager. Il dispose d'une longue expérience dans le domaine des TIC et de l'énergie en tant que journaliste, producteur de contenus et conseiller. Il a été président d'un parti régional et, à son ancien domicile, membre de la commission de sécurité pendant huit ans.